L'Hôtel de la Païva
C'est un endroit dont les initiés se parlent sous le sceau de la confidence.
« Mais comment, vous ne connaissez pas l'hôtel de la Païva ?
Et pourtant, vous êtes passés devant des dizaines de fois ! ».
Tout heureux d'avoir suscité l'attention de son auditeur, l'orateur pourra vous tenir en haleine pendant toutes ses explications. Il vous contera l'aventure de cette femme hors du commun, demi-mondaine qui a laissé un des derniers hôtels particuliers encore en vie sur les Champs-Élysées, au 25, et surtout une histoire aussi croustillante que passionnante. L'hôtel de la Païva a été construit entre 1856 et 1865. Aujourd'hui sa façade, notamment décorée par Auguste Rodin, est partiellement cachée dans sa partie basse par un établissement commercial.
La marquise de la Païva est née aux environs de 1819 en Russie. Elle était la fille de Juifs polonais réfugiés. Elle épouse en 1836 son premier mari, un petit tailleur français qu'elle quitte pour mener une vie galante à Constantinople puis à Londres. Petit à petit, elle devient la maîtresse de personnes célèbres dont le compositeur Hertz qui l'introduit dans la société française et qu'elle ruine ensuite. Son premier mari étant mort, elle épouse un de ses amants, un riche Portugais, le marquis de Païva. Ils se séparent au bout de deux ans et elle fait annuler son mariage par Rome. Le marquis de Païva se serait tué d'un coup de revolver l'année suivante. Elle épousera alors son nouveau bailleur de fonds, un cousin de Bismarck, le comte prussien Henckel von Donnersmarck et surtout multimillionnaire.
Cette femme ambitieuse peut alors réaliser le rêve qu'elle a toujours caressé : posséder sa propre maison sur la plus belle avenue du Monde. C'est à la fois la revanche d'une enfance pauvre et d'une personne qui a fait le trottoir. La légende voudrait que, poussée hors de la voiture d'un client pressé, elle se soit légèrement blessée. Elle se serait alors promis de faire construire une maison en face du lieu où elle était tombée. Elle fit venir un architecte célèbre Pierre Mangain et fait construire un hôtel où elle recevra les gens célèbres … Cet hôtel est avant tout une maison de fête : une baignoire en argent y est installée avec trois robinets. Le troisième étant utilisé pour le champagne ! Dans cette maison, elle interdira la présence des femmes. Est-ce son propre passé qui lui faisait se méfier de la gente féminine ?
L'hôtel appartient maintenant au cercle du Traveller's Club, club anglais qui a conservé la décoration et le mobilier d'origine ainsi que la même tradition : seuls les hommes peuvent fréquenter le club. Rassurez-vous Mesdames, l'hôtel étant classé, vous pourrez le visiter lors des trop rares visites organisées par des organismes spécialisés. Et vous ferez alors parti des initiés qui pourront prendre un air condescendant envers ceux qui ne connaissent pas ce lieu.